Blanc sur fond rouge

C’était un couvre-lit que ma mère avait confectionné, tout en coton, avec un fil blanc très fin. Un travail d’artiste. Elle en créait tous les ans. Ses travaux étaient devenus banales à mes yeux.

Elle passait des mois à crocheter chaque soir, malgré la fatigue, l’arthrose qui lui déformait les mains, malgré les contentieux, le passé, les difficultés de la vie.

Qui a dit que les relations entre mère et fille étaient toujours idylliques ? Bien sûr que non. Et la nôtre de relation n’avait jamais été très facile. Loin de là.

 

Cependant, j’ai un merveilleux souvenir de cette maman avec qui, rien, jamais, n’avait été fluide, simple, intime.

Un jour, alors que je rentrais chez moi après une journée bien remplie, je trouvais sur mon canapé rouge ce magnifique couvre-lit tout blanc. Le contraste entre la couleur vive de la housse du fauteuil et l’ouvrage de ma mère était saisissant. Cette fois, la banalité de cette énième couverture s'éloignait.

 

L’ouvrage était un assemblage de cercles très jolis. On aurait dit des fleurs à peine écloses. Un mélange de lys blancs, de renoncules et d’orchidées. De fines petites lanières entouraient les formes arrondies du milieu, comme des tiges sans épines, comme les nœuds des marins.

J’ai senti en les regardant comme de l’eau qui me coulait dans le dedans, un filet d’eau qui s’élançait tout entraîné par l’émotion.

Cette couverture tout au crochet rassemblait de façon très régulière des sortes de mandalas. Oui, ce n’était plus des fleurs mais des petites formes géométriques qui surgissaient de partout : Des triangles, des demi-cercles, des roues, des losanges. Leurs contours tellement symétriques les uns par rapport aux autres avaient quelque chose de l’ordre de la perfection.

Le rouge écarlate sur lequel était posée cette si jolie création donnait à l’ensemble une impression incroyable : Comme si mon divan n’était plus seulement une assise pour mon salon mais bel et bien un grand champ de coquelicots parsemé çà et là de quelques marguerites. Je pouvais percevoir la lumière de leurs pétales flotter dans l’espace.

Est-ce que je respirais leur odeur ? Je ne sais pas, ce dont je suis sûre par contre c’est que je sentais le parfum d’un amour maternel qui ne demandait qu’à être validé. Quel que soit notre passé, nos souvenirs ou nos regrets.

 

« Vois, je ne suis pas une si mauvaise mère ! » : J’entendais cette parole surgir du canapé. Ou plutôt de l’âme de ma mère. Elle cherchait à réparer nos blessures. Sans le dire, sans l’avouer, sans même y croire peut-être. En avait-elle seulement conscience ?

Ce n’était plus un édredon ni même un canapé. Non, je voyais ruisseler le sang qui irriguait le cœur de ma mère en quête de mon regard.

 

Cette œuvre d’art issue de ses mains agiles avait la couleur des plus jolies fleurs du printemps.

Je ressentais la vibration du rouge qui épousait la blancheur immaculée du coton. Une énergie irradiait toute la pièce, celle de la vie mais aussi celle de l’amour caché. Celui qu’on n’ose dire. Par pudeur ou par gêne.

J’entendais le rythme cardiaque des petits soleils rouges et blancs palpiter sous mes yeux incrédules. On aurait dit le son des cloches dominicales, quand l’Amour nous invite au recueillement. Quand l’Amour nous invite tout simplement.

 

J’ai regardé ma mère qui attendait juste derrière moi. Elle attendait mon baiser. Pas n’importe quel baiser : Le mien. Celui qu’on attend si souvent sans oser le demander. Celui qui redonne vie. Celui d’une intimité retrouvée entre sa mère et sa fille. Je le lui ai donné.

 

Pour un instant, je lui ai offert tous les bouquets de baisers rouge coquelicot, les caresses des lys au parfum qui enivrent. Je lui ai offert les soleils aux rayons dilatés, ceux qui partaient du centre des mandalas, ceux qui venaient du cœur de ma terre apprivoisée. 

 

C’était un travail manuel comme elle en tricotait tout le temps. À chaque fois qu’aujourd’hui mes yeux se posent sur mon meuble de salon, aussi banal qu’il soit, je suis la seule à entrevoir les coquelicots agités par le vent d’une tendresse méconnue mais réelle. Blanche comme du coton.

 

 Pur comme la beauté d’un cœur de mère.

 

 (Ecrit dans le cadre d'un atelier d'écriture avec Laura Vasquez. Thème : la Banalité qui devient extraordinaire)

 

 

DPP. 11540-45875

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