4ème de couverture

Voici l’histoire d’une relation très particulière entre une femme et son fauteuil. Elle se balance dessus, c’est ce qu’on nomme une « stéréotypie ». Leur lien est riche et intense.

Aurore est une personne « neuro-atypique ». Cette découverte à l’âge adulte va lui permettre de mieux comprendre son identité profonde et les difficultés qui ont jalonné sa vie.

Que connaissez-vous de cette façon d’être au monde ? Qu’y a-t-il de si riche et d’original lorsqu’une femme est dans le Trouble du Spectre de l’Autisme sans déficience intellectuelle ? Comment dépasser le regard des autres ?

Avec Aurore, je vous invite à partir à la découverte de sa personnalité et de son fonctionnement neurologique différent.

Personnage principal : 

AURORE

 

Interview

 

- Bonjour Aurore, merci d'accepter de répondre à quelques questions. Je vous demanderai de me répondre brièvement.

Réponse : Entendu !

Moi : -  Quelle qualité apprécies-tu le plus chez quelqu'un ?

 Réponse : - L'honnêteté

 Moi : - As-tu des secrets inavouables ?

 Réponse : - Oui, jusqu'ici c'était surtout mes stéréotypies (stims en anglais) que je dissimulais . Aujourd'hui, c'est impossible. Je parle au grand jour de mes balancements sur mon fauteuil.

 Moi : - Qu'est-ce qui t'apporte du réconfort ?

Réponse :  - J'adore écouter du violoncelle avec mon casque sur les oreilles, écrire des poésies et marcher en forêt avec mon ami Opalin. Le diagnostic de TSA m'a beaucoup soulagée. En quelque sorte, il m'a apporté du réconfort parce qu'il a répondu à bon nombre de mes questions.

 Moi : - Aimes-tu les animaux ? En as-tu ?

Réponse : - J'adore mon chien, je l'emmène partout avec moi. Une grande complicité nous lie l'un à l'autre. Je l'ai appelé Tagada.

Moi : -Tu es plutôt ville ou campagne ?

Réponse : - Campagne ! Ma grande passion, c'est la forêt !

Moi : - Es-tu fière de la personne que tu es aujourd'hui ?

Réponse : - Oui, je me connais mieux grâce au diagnostic de TSA et je n'ai plus honte de mes particularités. 

Voici donc mon premier livre. C'est l'histoire romancée d'une découverte à l'âge adulte du diagnostic de TSA.

Autrement dit, c'est un peu mon histoire. 

Cependant,  j'ai donné à Aurore un passé familial, un métier, une histoire très différente de la mienne. Aurore a une propension à la rêverie beaucoup plus prononcée que moi.

Je n'ai pas voulu écrire un livre sur l'Autisme invisible chez la femme. J'ai préféré écrire un roman à la frontière entre le conte et la poésie.

Je désirais une part de rêve et d'évasion pour le lecteur. Un moment de grâce.

Les articles sur l'autisme à l'âge adulte sont souvent très scientifiques, avec un vocabulaire très spécialisé.

J'ai  fait le choix de raconter plutôt le parcours d'une femme fragile qui a dû lutter toute sa vie pour vivre dans un monde qu'elle ressent depuis toujours comme chaotique.

C'est mon premier roman. Il est donc très important pour moi et j'en suis fière. 

Les premiers retours ont été très positifs et ce succès m'a fortement encouragée à poursuivre l'écriture. Beaucoup m'ont dit avoir été très touchés par la poésie du récit. 

Ils ont aussi apprécié la couverture du livre.

Je vous souhaite de découvrir à leur suite l'histoire d'Aurore. 

Une vie toute simple, cachée mais riche par sa sensibilité. C'est aussi  un voyage dans la beauté intérieure du coeur humain. 

Quand on me connait, on n'est pas étonné de la manière avec laquelle j'ai raconté cette histoire : j'aime mettre de la poésie un peu partout. C'est ma touche toute personnelle.

Premier chapitre : 

 

 

Une fois de plus, ce matin, Aurore sentait le manque : son coeur vrillait, son corps réclamait, l’humeur soudain faisait des bonds désordonnés. "Non, non, non et non, je n’irai pas m’asseoir, je le peux ! Je le veux !" Elle cherchait à se convaincre, mais peine perdue.


Sans son fauteuil, elle avait l’impression de se faner, telle une fleur, Non, je peux très bien me passer de cette habitude ! Son corps suppliait, le coeur à l’envers, elle s’obligeait à s’activer pour fuir Ulysse (c’est le prénom qu’elle avait donné à son fauteuil), "Je vais faire la vaisselle, sortir mon chien, préparer les repas. Je n’y penserai plus ! zut !" Elle réussissait quelques heures. Puis, sans s’en rendre compte, ou seulement après coup, elle reprenait son balancement, là, dans ce meuble de salon qu’elle cherchait à fuir coûte que coûte.
Il ne s’agissait pas d’un fauteuil roulant, d’une chaise de bureau ou d’un rocking-chair, non, mais d’un fauteuil très ordinaire, ceux qu’on trouve parfois près d’un canapé, dans nos salles de séjour.


Elle se balançait dessus, ce geste répétitif faisait partie d’elle-même. Une sorte de respiration, mais aussi une tyrannie ordinaire, son tourment quotidien. Une fois de plus, ce matin, elle le savait : elle ne gagnerait pas la partie.


Quelle était la vie d’un fauteuil ?
La plupart du temps, on le trouvait près d’une cheminée ou d’une fenêtre. Parfois, dans une chambre. À côté, une petite table basse où traînaient çà et là quelques livres, des biscuits, un téléphone portable. Éclairé par la lumière du jour qui traversait les fenêtres, il se fondait dans le décor. On pouvait même passer près de lui sans le remarquer. Invisible mais présent. Tout comme l’amour. Souvent.


Aurore aimait Ulysse. Elle commençait par s’asseoir dessus, en tailleur, comme un moine bouddhiste, puis elle tapait son dos sur son dossier et fredonnait. Parfois, une heure ou deux, parfois davantage. Ils ne formaient alors plus qu’un seul et même corps, une seule et même vie. C’était leur secret.


Pourtant de composition solide, Ulysse supportait plus ou moins bien ces balancements. Aurore devait d’ailleurs faire attention, il ne fallait pas qu’elle abuse. Sans ce soin attentif, inévitablement, les pieds du fauteuil commençaient à le lâcher, son tissu s’abîmait plus vite, il chancelait. Elle le couvrait donc de plaids pour cacher l’usure.


Aurore était une femme à la silhouette élancée, qui avait toujours fait plus jeune que son âge, à presque 50 ans, toujours pas une ride sur son visage. Les yeux marrons, des cheveux châtains toujours tirés vers l’arrière, elle accordait peu d’importance à son apparence. Les canons de la mode vestimentaire l’avaient toujours fatiguée. Elle n’y comprenait rien mais cherchait à y être fidèle. Ne serait-ce que pour passer inaperçue. Le plus souvent, quand elle se regardait dans la glace, elle était gênée : Vite Aurore, vite !


Elle s’habillait rapidement, vêtue généralement d’une jupe longue assortie d’un tee-shirt. Elle se maquillait aussi à toute vitesse. Pff, quelle perte de temps franchement ! Tout ça pour se faire bien voir au boulot ! Après avoir légèrement mis du gloss sur ses lèvres charnues, elle attachait vite ses cheveux mi-longs sans plus de cérémonie et sortait enfin de son domicile.
Mais ce matin, Aurore n’allait pas travailler. Après plusieurs contrats de secrétaire médicale, elle venait, une fois de plus, de démissionner. Avec beaucoup de réticences, elle avait fini par accepter une « Allocation Adulte handicapé ». Ce mot la dérangeait tellement, c’est à peine si elle parvenait à le prononcer : « Handicapé » !
Elle habitait Paris, dans le 15e arrondissement, non loin du boulevard Pasteur, un quartier qu’elle affectionnait, même si elle espérait un jour quitter la capitale qu’elle trouvait trop stressée. Son studio qu’elle avait décoré de nombreuses plantes et d’un aquarium juste en face de son fauteuil lui apportait la paix.


On pouvait y trouver quelques puzzles accrochés aux murs mais aussi beaucoup de livres, classés selon leur thème : psychologie d’un côté, spiritualité de l’autre, les romans à part. Un mobilier sans prétention, bien rangé, une odeur de vanille grâce à la bougie allumée dans son entrée, quelques canevas et des photos. Il y avait aussi la niche de Tagada : Son chien, un yorkshire adorable qu’elle aimait énormément.


À chaque déménagement, Aurore choisissait l’emplacement de son fauteuil avec soin. D’abord, il convenait de le poser près d’une fenêtre mais pas trop près pour que personne ne puisse les voir. Ensuite, elle choisissait la couverture dont elle le recouvrait, puis, pour ne pas être surprise, Aurore avait fixé un loquet sur la porte d’entrée. Toujours pour la même raison : pour ne pas être pris en flagrant délit. La lampe, pour le soir, était placée non loin. Ainsi, elle accédait à l’interrupteur sans se lever, une interruption dans ses élans lui causait une vraie douleur. Pas une simple contrariété. Non. Une douleur, car le rythme de ses balancements se brisait.


Aurore avait aussi une autre habitude : celle de faire parler les objets autour d’elle. Comme çà, pour s’amuser. Elle avait d’ailleurs l’habitude d’appeler tous ses objets par le même prénom : « Pénélope » qu’elle trouvait original. Pour son fauteuil, elle avait choisi « Ulysse », pour marquer, en le soulignant, la place tout à fait singulière qu’il occupait dans sa vie.
Elle fermait les volets du salon assez tôt quand venait le soir. Ainsi, plus aucun péril ne pouvait survenir : nul ne pouvait violer leur intimité. C’était sa façon de se protéger des remarques malveillantes.
Ulysse vivait au rythme de ses émotions, de ses gestes, de son balancement. Il était Aurore, elle était Ulysse. Et puis inversement.


Depuis longtemps, elle menait une lutte acharnée contre ce rite singulier qui prenait tant de place dans sa vie. Aux yeux de n’importe qui, c’était tout simple : il suffisait de se décider. Avec un peu de volonté, ne dit-on pas qu’on arrive à tout, même à l’impossible ? Aurore n’était pas d’accord.
Le fameux : « Quand on veut, on peut ! », elle le savait d’expérience, était un mensonge. Pour elle, quitter Ulysse relevait d’un effort violent, une sorte de duel impitoyable. Elle changeait même le parcours de ses allées et venues de son appartement : Surtout ne plus croiser son fauteuil, l’éviter à tout prix ! Faire comme s’il n’existait plus. Son logement devenait un grand labyrinthe où elle se perdait à force de le fuir. "Je dois y arriver ! Tu es ridicule avec ton fauteuil ! Arrête donc ! Mais arrête donc !". Des voix moqueuses lui revenaient en mémoire.
Toutes les fois où des indélicats l’ayant surprise dans son mouvement répétitif avaient ironisé : « Oh ! La hoooooonteeee ! ». Ce souvenir la transperçait.


Et puis un jour, le combat prenait fin. Son fauteuil l’accueillait sans reproches. Aurore, vaincue, fuyait la honte et se réconciliait avec les bras d’Ulysse, lovée sur son velours, au creux de son assise. Ils se retrouvaient dans la joie. Aurore n’était plus seule. Ni lui non plus.
Elle était pourtant très intelligente, sa scolarité, sa vie, rien ne démontrait une « anomalie » quelconque. Ce comportement l’interrogeait. Si encore j’avais été simplette ! Un peu bancale, mais non, rien, j’ai grandi comme tous les autres ! Elle ne comprenait pas.


Lorsqu’elle cherchait à oublier Ulysse, elle entrait dans un état de manque. Son fauteuil, lui, qui l’attendait dans une espérance angoissée, souffrait avec elle. À chaque nouvelle tentative de séparation, chacun d’eux s’essoufflait. Ils ne pouvaient pas se passer l’un de l’autre, quand ils essayaient, ils ne vivaient plus, ils survivaient. La preuve, à chaque tentative, Aurore avait l’impression de moins bien respirer, elle devenait irascible au possible. Et, si les jours où elle n’avait pas pu se balancer, une émotion survenait, plus forte que les autres, alors elle tremblait.


Aurore tremblait souvent d’ailleurs, il se jouait en elle la partition d’une musique inconnue, dissimulée au fond d’elle-même, une pure vibration venue d’un ailleurs insaisissable.
Le drame de leur relation, unique en son genre, se résumait par la tension continuelle entre leur volonté de vivre « comme tout le monde », (lui comme un fauteuil ordinaire dans le silence, elle, comme une personne sans stéréotypie), et leur impossibilité d’y parvenir. Ils étaient « accros » comme on dit. Ils formaient, à n’en pas douter, une symbiose indispensable, pourtant menacée par les injonctions qui visaient leur séparation. « Aurore, tu veux cesser oui ? On dirait une débile ! », « Oh ! Non mais regarde-toi ! Pitié ! ». Ces phrases entendues dans l’enfance l’avaient blessée.


Ce geste répétitif, qu’elle prenait pourtant soin de dissimuler, avait parfois été remarqué. Aujourd’hui encore, elle cachait sa honte. Pour tout dire, je me rends compte depuis très peu de temps que je me balance ! C’est fou mais les remarques de l’enfance, je ne m’en souvenais presque plus. C’est un réflexe chez moi, tellement ancré, que j’ai même fini par l’ignorer. Pour moi, c’est aussi indispensable et naturel que de respirer. Se souvient-on de toutes les fois où on respire ? Non ! Eh bien, mon balancement c’est tout pareil ! Je ne sais pas pourquoi ! se disait-elle.


Justement, ce matin, après quelques rangements qui l’avaient aidé à ne pas rester trop longtemps avec Ulysse, elle avait retrouvé un poème qu’elle avait écrit quelques années plus tôt :


« Mes balancements
C’est un rythme, une musique, un mouvement,
Différent du vôtre
J’oublie dehors, j’oublie dedans,
Nul ne peut me rejoindre, seul le Maître du temps,
Cet espace à part, dans mon balancement.
Je deviens lente moi qui ne le suis pas,
Je repense à l’évènement d’avant,
Je me prépare à celui d’après
Mes émotions comme des nuages
Qui traversent le ciel,
Je ne peux les vivre comme vous,
Fragile en mon balancement.
Suspendue entre ma tête et mon coeur,
Écoutez donc le cri muet de mon corps !
Je savoure la vie, modèle réduit ou large à l’infini ?
Je ne sais pas mais c’est ainsi
Vivante en mon balancement ».


Elle se frottait les yeux qui se mouillaient malgré elle à la lecture de ce texte, c’était si pénible de ne pas se comprendre, de se sentir comme en « Absurdie », d’ignorer qui elle était, pourquoi elle existait, toujours un peu « décalée » malgré sa vie bien ordinaire. D’ailleurs, un jour où elles se parlaient à coeur ouvert, son amie Apolline lui avait dit :
« Toi, mon Aurore, tu me fais penser à ma grand-mère ! ». Aurore avait fait une moue boudeuse, son amie dut s’expliquer :


- Non, mais ne le prends pas mal ! C’est un compliment au contraire. Je l’adorais. Tu es comme elle, tu ne cherches pas de mec. On ne peut pas dire que ce soit ton fort. En plus, tu es habillée de manière très classique. Toujours de longues jupes, comme à l’ancienne, ta façon de parler avec un vocabulaire très soutenu. Tu es spéciale ma chérie ! Tu gribouilles dans un cahier à ta pause du midi au lieu d’aller avec les autres !
- Comment le sais-tu ?
- Qu’importe comment je le sais ! C’est une de tes anciennes collègues qui me l’a raconté ! Ce n’est pas grave tu sais, ton côté décalé, moi, ça me repose des autres !
Aurore écarquilla les yeux, elle passa une main dans ses cheveux, elle avait aussi cette manie quand elle se sentait mal à l’aise.
- Tu sais, tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu es mystérieuse comme nana, et, ça, moi, j’aime bien ! »


Aurore et elle se connaissaient depuis plus de 15 ans maintenant. Une amitié très forte les unissait. Apolline ne mâchait jamais ses mots. Elle était aussi extravertie qu’Aurore était introvertie ! À croire que leurs tempéraments totalement opposés cimentaient leur relation.
Alors voilà, Aurore savait, non seulement par elle-même mais aussi par les remarques des autres qu’elle n’était pas tout à fait comme « tout le monde », malgré « un parcours de vie assez semblable à la moyenne » selon ses propres mots.


Pour s’en convaincre, s’il en était besoin, elle n’avait qu’à s’observer. À chaque fois qu’Aurore s’approchait de son fauteuil, nul ne pouvait se douter de l’intensité cachée derrière ce geste routinier. Oui, elle était d’accord avec Apolline, elle était un mystère, non seulement pour les autres mais surtout pour elle-même. Elle espérait trouver un jour des réponses à toutes ses difficultés. Elle s’accrochait à cet espoir.